Davel

par | Oct 11, 2022 | Culture

On sent déjà un frémissement. La classe politique du canton, les personnes passionnées d’histoire, les patriotes, s’apprêtent à célébrer l’an prochain le trois centième anniversaire de la mort de notre héros vaudois, le major Davel. On prépare des spectacles, des livres; certains demandent la révision du procès, et la réhabilitation de celui dont la statue se dresse, solennelle, devant le Château, à Lausanne.

Le personnage m’a toujours été sympathique. Dans les années huitante, j’ai écrit et joué un spectacle, Le retour du major Davel, dans lequel j’incarnais le major, revenu sur terre pour raconter son histoire.

Jean-Daniel-Abraham Davel, fils de pasteur, naît à Morrens en 1670. Alors, le canton de Vaud subit la domination bernoise, et depuis 1536! Avec le temps, le petit peuple s’est résigné à cette occupation. Quant aux bourgeois et aux nobles, ils collaborent bien sûr avec l’ours de Berne, et en tirent des avantages qui leur font rejeter toute envie de changement.

Davel devient notaire à Cully et se distingue dans la défense des plus modestes. Un jour de vendanges il y rencontre «la belle inconnue», une jeune femme mystérieuse qui lui prédit un destin extraordinaire. Il ne la reverra plus mais, mystique, en gardera le souvenir à jamais. A vingt-deux ans il entre au service mercenaire. On le retrouve sur divers champs de bataille, tantôt au service des protestants, tantôt dans les troupes catholiques… l’ordinaire, en ces temps-là. A quarante-et-un ans, il revient au pays, retrouve Cully et son étude de notaire. Les Bernois lui donnent la charge de major des quatre paroisses de Lavaux. Il a désormais trois compagnies sous ses ordres.

Il regarde autour de lui, constate la misère dans laquelle est plongée la paysannerie. Il lit beaucoup: la Bible, et d’autres livres. Dans l’un d’eux, il découvre ces phrases qui le bouleversent: «Du moment que les lois les plus authentiques, des souverains les plus légitimes, se trouvent en opposition avec les lois immuables écrites dans notre cœur, il n’y a pas à balancer. Il faut même, quoi qu’il en coûte, désobéir aux premières, pour ne donner aucune atteinte aux dernières.»

On peut donc se révolter, on peut donc se dresser contre ses maîtres, même si, comme on l’affirmait alors, ils nous ont été donnés par Dieu lui-même! Dès lors, sa route est tracée: il va libérer le canton de Vaud du joug bernois!

A la tête de six cents soldats, il marche sur Lausanne. Les hommes sont en armes, mais il leur a interdit de prendre des munitions: il est à tel point convaincu qu’il a raison! Les représentants de Berne sont dans leur capitale, pour leur réunion annuelle. Il est donc accueilli par le Conseil des nobles et des notables vaudois, à qui il expose son projet. On acquiesce, on l’invite à manger, on le fait dormir chez l’un d’eux… qui s’empresse, dans la nuit, d’envoyer un messager à Berne pour dénoncer cette rébellion! Le lendemain, Davel est arrêté, emprisonné au Château.

Ce sont les Vaudois eux-mêmes qui l’interrogeront et le tortureront, eux qui le condamneront à avoir le poing et la tête tranchée! Les Bernois, restés en retrait jusque là, adoucissent le jugement: «Coupez-lui la tête, ce sera bien suffisant!» Le 24 avril 1723, à Vidy, Davel est décapité, après avoir déclaré: «Ceci est le plus beau jour de ma vie!»

Comment expliquer ma sympathie pour ce militaire? C’est que, bien qu’il ait été exécuté il y a près de trois cents ans, il reste exemplaire aujourd’hui. Dans sa fonction de notaire, il a toujours pris le parti des plus petits, participant à sa manière à la lutte des classes! Pour leur apporter la justice et la liberté, il n’a pas hésité à se dresser contre les puissants. Il a renoncé à utiliser la force des armes pour faire triompher son projet. Jusqu’au bout, il est resté fidèle à ses idéaux, et l’a payé de sa vie.

Il est amusant de constater qu’il a fallu attendre trois quarts de siècle, et le départ des Bernois, pour que les élites vaudoises – celles-là même qui l’avaient trahi – le sortent de l’oubli et le
mettent sur un piédestal. Ont-elles eu soudain besoin d’un héros? Et l’on peut se demander si les notables qui célébreront l’an prochain l’anniversaire du supplice sont très différents de ceux qui, à l’époque, l’ont ordonné. Le rappel de l’aventure du major donnera-t-il lieu à des réflexions sur le présent, ou ne sera-t-il que le prétexte à des discours ronflants, avec fanfares et papet aux poireaux à la clé ?

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