Le titre, et des images de ce film, sont remontés à ma mémoire il y a quelques jours.
Roman Polanski en situe l’action dans de lointaines montagnes, vers l’est: les Carpates, la Transylvanie? Ces noms déjà, parce qu’ils évoquent des contrées qu’on ne fréquente guère, suscitent une vague inquiétude.
C’est l’hiver, la neige recouvre tout. Dans la pénombre du crépuscule, par un froid glacial, un traîneau tiré par un gros percheron apparaît dans le paysage. A l’arrière un jeune homme grelotte, emmitouflé dans des fourrures. On arrive devant une pauvre masure, une auberge dans laquelle pénètre le héros. Feu de bois, chapelets de gousses d’ail et crucifix aux murs, aubergiste au regard torve. La fille de celui-ci, bien sûr belle à croquer, c’est l’innocence, la pureté même. On ne peut qu’en tomber amoureux, ce que s’empresse de faire le jeune homme. La région est terrorisée par des vampires – des nobliaux, dont le château délabré se dresse non loin, sinistre silhouette en haut d’un étroit chemin, sur fond de nuages menaçants.
Cette comédie, qui se termine par la déconfiture des méchants et la victoire des jeunes gens, est l’un de mes films cultes!
Les vampires…
Ce sont des morts-vivants, qui se nourrissent du sang des autres humains. Redoutables et puissants, munis de longues canines, ils mordent dans le cou leurs victimes, qui deviennent vampires à leur tour. Blafards, ils ne vivent que la nuit, entre eux, indifférents au sort du reste de l’humanité. Leur image n’est pas reflétée par les miroirs, ce qui permet parfois de les démasquer. L’eau bénite, une Bible, un crucifix, des gousses d’ail peuvent les tenir à distance.
Pour les neutraliser provisoirement on peut, dit-on, placer devant eux un sac de riz: cupides, ils se mettent à en compter fébrilement les grains, et rien d’autre alors n’importera pour eux, tant qu’ils ne seront pas arrivés tout au fond du sac! Ils sont immortels, ou du moins ils croient l’être: une balle en argent en plein front, ou un pieu de bois enfoncé dans le cœur, ou tout simplement la lumière du jour, qu’ils craignent par-dessus tout, les feront mourir définitivement.
Voilà, du moins, ce que disaient certaines croyances populaires!
Est-ce la saison, la neige et le froid, qui ont fait trotter dans ma tête ce titre et ces images ? Non… plutôt cet événement qui vient d’avoir lieu:
Vu de loin, le décor est le même que celui du film: hautes montagnes enneigées, température polaire. En s’approchant toutefois, on s’aperçoit qu’au lieu du traîneau qui avançait au son des grelots du cheval passent de longues limousines qui se croisent en silence. Pas de château ouvert à tous les vents, pas d’auberge misérable, pas de salle de bal aux tapisseries poussiéreuses, mais des hôtels hyper luxe, des restaurants cinq étoiles, des centres de conférences dotés de la technologie la plus moderne. Et les privilégiés qui chuchotent entre eux dans les couloirs douillets, ou règlent le sort de la planète devant micros et caméras, ne sont pas vêtus d’habits d’un autre siècle: leurs costumes sont taillés par les plus grands couturiers, le prix du moindre de leurs vestons nourrirait une famille de paysans transylvaniens pendant un an. Contrairement aux méchants de l’histoire, ces individus ne sont pas effrayés par la vue d’une Bible ou d’un crucifix. Et leur image est bel et bien reflétée par les miroirs… elle devrait les faire se liquéfier de honte, s’ils avaient la morale des gens ordinaires… Milliardaires et hauts responsables politiques, ils partagent avec les vampires la peur de la lumière, l’infini égoïsme et la cupidité, le fait de vivre à l’écart, le mépris des peuples. Et comme eux, ils se nourrissent du sang des humains, du sang de la planète.
Dans le rôle de la jeune fille pure, une petite étudiante suédoise. Dans celui du héros… je n’ai pas vu son nom au générique.
Cela se passe à Davos à chaque mois de janvier, cela s’appelle le World Economic Forum. Ce nom pourrait être avantageusement remplacé par le titre du film de Polanski.
Michel Bühler
(article paru dans Le Courrier le 15/02/2019)