Cette émission TV avait à peine commencé qu’un premier…
Mon respect de la langue me pousserait à écrire mensonge: qu’est-ce qu’une parole qu’on prononce en sachant qu’elle n’est pas la vérité? Mais le correct veut peut-être que j’use d’un euphémisme. Je n’utiliserai donc pas ce mot, mais plutôt Information Biaisée, ou son acronyme, IB.
Je m’étais pourtant promis de ne plus aborder ce thème avant longtemps. A parler trop souvent d’un même problème, le chroniqueur peut sembler radoter. Mais quoi, ce n’est pas ma faute si le magazine Mise au Point (MAP) de la RTS du 26 janvier s’est penché sur Les Eoliennes bloquées1). Et pas ma faute si l’accumulation d’IB, tout au long du sujet, m’a atterré, au point qu’il faut que j’y consacre ces lignes!
10 secondes après le début, ayant rappelé que 15 projets de parcs éoliens sont bloqués en Suisse, la présentatrice poursuit: ces blocages contrastent avec le succès décuplé de l’éolien ailleurs en Europe… Diable! Décuplé, soit multiplié par 10? Pourtant l’éolien terrestre subit une série de faillites en Allemagne, le président Macron admet ses limites, la Pologne va y renoncer.
Les images nous emmènent au Mollendruz, où doivent se dresser 12 hélices géantes. Le plus gros client serait la ville d’Yverdon, dans la région, indique un promoteur… en omettant de dire que c’est EWZ, lointaine entreprise électrique zurichoise, qui possède 50% des actions. La Praz se trouvera à 1,8 km de la première machine, rassure un Municipal. Ce village a dû annuler une première décision de son Conseil général, avant que celui-ci, remanié, accepte la construction du parc. Ici, double IB! D’abord pas un mot sur cet épisode clochemerlesque. Puis, dans la plupart des projets bloqués, les hélices se trouvent trois fois plus près des habitations. A Ste-Croix, la première d’entre elles se dresserait à un peu plus de 600 mètres de l’hôpital et de l’EMS.
On entre dans la Maison de commune de la Praz pour consulter des classeurs fédéraux. IB: l’unique chose qu’on relève dans l’épais dossier des éoliennes, c’est qu’elles menacent un petit migrateur, l’alouette lulu. Sur l’intermittence des vents, les subventions captées par les actionnaires, la non-création d’emplois locaux, les nuisances que subissent les gens: motus! La seule motivation des opposants, semble-t-il, c’est la défense de l’alouette lulu. Honteuse pour les journalistes, cette façon réductrice de traiter les faits insulte les opposants.
On fait un tournage un peu à l’improviste… annonce plus loin le reporter à une brave dame qui, sur sa porte, joue la surprise. Kolossal hasard, ou IB, cette personne, pro-éolienne, est Municipale dans un village impliqué dans ce projet.
Enfin la parole est donnée à une opposante… pendant 48 secondes, soit durant 5,9% du temps total.
Comme pour corriger cette hardiesse, on retrouve vite l’incontournable Isabelle Chevalley: Un seul individu peut bloquer un parc éolien pendant vingt ans, affirme-t-elle. IB! Chaque association d’antis compte des centaines de membres, près de 14’000 personnes ont signé une pétition pour préserver les crêtes du Chasseron!
Puis, après une Verte d’une prudence toute vaudoise, voici Mme de Quattro. Celle-ci remet sur le tapis l’alouette lulu et conclut, véhémente, par ce qui devrait lui valoir le prochain Grand Prix du Maire de Champignac: Cessons de trouver les problèmes, et orientons-nous vers les solutions!
La suite du reportage, près de la moitié de celui-ci, est ensuite consacrée à l’Autriche. IB: la Plaine de Pannonie donnée en unique exemple, couverte d’éoliennes, est, selon un responsable local, un couloir entre les Carpates et les Alpes. Le vent est compressé dans ce corridor et, ainsi, s’accélère.
Bêtise, mauvaise foi du journaliste? Ce cas particulier n’a rien à voir avec nos crêtes jurassiennes, où devraient se dresser les éoliennes bloquées.
Dans la réponse du rédacteur de MAP à mon courrier indigné, on trouve: notre propos n’était pas d’entrer dans les détails de cette guerre de tranchées qui oppose pro et anti-éoliens. Bien. Mais consacrer 94,1 % du temps d’antenne à une seule partie dans une guerre de tranchées, n’est-ce pas se ranger un peu d’un seul côté?
La lutte des opposants dure depuis plus de vingt ans. Plutôt que de persifler, en mettant en avant la pauvre alouette lulu, (qui revient à la fin du reportage!) on aurait pu se pencher sur ce qui motive cette belle détermination. La RTS est friande d’acronymes. Ne serait-il pas judicieux qu’elle remplace désormais MAP par IB?
Michel Bühler
(article paru dans Le Courrier le 04/02/2020)