« Il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne finisse pas par régler! » Dans ma jeunesse, par jeu, nous soutenions que cette devise était celle du plus gros parti vaudois, celui qui gouvernernait le canton, semblait-il, depuis et pour toujours. Une manière pour nous de brocarder de vieux notables endormis dans leurs certitudes, ancrés pesamment dans une droite molle, et paraissant indéboulonnables. A la même époque, Brel chantait « Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux plus ça devient bête… » et nous reprenions bien sûr avec délice ce refrain à tue tête au cours de certaines soirées bien arrosées. Mais, tout en adhérant au fond de la pensée du grand belge, nous étions donc beaucoup plus mesurés dans le choix de nos mots.
Egratigner les gens en place seulement en leur attribuant la maxime ci-dessus restait bonhomme, tout vaudois en somme.
En prononçant cette formule, il nous venait une image en tête, celle d’un repas sous cantine organisé par une société de tir ou de patriotes: dans la chaleur de l’été, l’invité d’honneur, préfet ou conseiller d’état, concluait son discours par ces mots bien sentis. Un tonnerre d’applaudissements éclatait, des « bien dit! » des « bravo! ». L’orateur descendait lentement de l’estrade, il rajustait sa cravate, s’épongeait le front, serrait quelques mains, tandis que l’assistance entonnait l’hymne vaudois. Puis on se jetait sur le blanc de l’apéro, qui était suivi par l’inévitable jambon à l’os, salade de patates, haricots verts.
Laisser s’endormir les choses a-t-il été par le passé une façon de pratiquer l’art de gouverner, et notre malicieuse caricature était-elle un reflet de la réalité? Peut-être, mais pas sûr. Ce qui est certain, c’est qu’il est loin le temps des officiels ventripotents, et qu’on n’imaginerait pas qu’un tel procédé, ou quelque chose d’approchant, puisse être utilisé aujourd’hui par nos modernes et fringants magistrats!
Eh bien détrompons-nous! Par exemple, il semble que les autorités de ma commune ont joyeusement repris cette manière de faire à leur compte. A peine transformé par leurs soins, le vieil adage est devenu « Il n’y a pas de question qu’une absence de réponse ne finisse pas par faire sombrer dans l’oubli ». Le 14 décembre de l’an dernier, notre Municipalité a demandé au Conseil communal de décider divers aménagements dans un hameau. Or dix jours auparavant la même Municipalité avait signé un contrat secret avec Romande Energie, dans lequel elle s’était par avance fermement engagée à entreprendre ces travaux, indispensables pour que le promoteur puisse construire un parc industriel éolien. Six mois se sont passés, mes nombreuses questions à propos de cette entourloupe n’ont reçu aucune réponse satisfaisante, et l’accès aux documents qui auraient pu fournir une explication m’a été refusé.
Circulons donc, il n’y a rien à voir, et tout devrait se tasser.
Autre exemple actuel, qui pourrait se traduire par « Il n’y a pas d’ânerie qu’une absence de dénonciation ne finisse pas par imposer ». Dans un arrêt du 18 mars 2021, le Tribunal fédéral a balayé tous les recours concernant ce même parc éolien. Pour justifier leur décision, les juges de Mon Repos affirment que « Les installations de production d’énergie éolienne offrent la flexibilité de production dans le temps et en fonction des besoins du marché et contribuent de manière significative à la sécurité de I’approvisionnement… en permettant de charger ou de décharger le réseau selon les besoins ». Oui, dans une précédente chronique1) j’ai déjà évoqué ce jugement, fondé sur une imbécilité (je pèse mes mots) qui saute aux yeux. Si j’y reviens aujourd’hui, c’est pour rappeler encore que ces énormes hélices, si elles se construisent et viennent pourrir notre vie, seront bâties sur une affirmation d’une insondable stupidité. Qu’est-ce qui peut pousser des juges à s’appuyer sur une telle bêtise?
L’organe judiciaire suprême ainsi se ridiculise et discrédite l’ensemble des tribunaux. Ce fait n’a été relevé par personne, si ce n’est par Vigousse et La Tuile. Pour le reste, aucun organe de presse, aucun journaliste, aucun parlementaire n’en a dit mot. C’est l’omerta.
Je dis solennellement que ce silence complice est d’une extrême gravité. Que ce manque d’indignation est honteux. Et qu’on peut se faire du souci pour notre démocratie.
Bien entendu, les mots qui précèdent n’engagent que moi, et je suis prêt à assumer toutes les conséquences de ces déclarations.
Michel Bühler
1) Voir « Une nouvelle ONG », mardi 25 mai 2021.
(article paru dans Le Courrier le 19/07/2021)